On m’avait dit que le temps
refermerait la blessure et que chaque jour passé aiderait à
cicatriser. Pourtant, on ne m’avait pas dit que chaque heure et
chaque minute constitueraient de minuscules grains de sel venant se
poser sur la plaie et faisant de mon âme une boule de souffrance.
Je me suis souvent demandé si cette
douleur lancinante arriverait à se taire. La vérité, c’est que
ton départ aura eu les effets d’une véritable bombe à
fragmentation venant impacter sur le moindre détail de mon
existence. Alors, il aura fallu tout reconstruire et partir en
guerre contre cette peine sclérosante afin de ne pas sombrer dans
les abysses. En art de la guerre on parle d’analyse du centre de
gravité en conflit asymétrique.
Tellement de batailles ont été
perdues contre cette peine et plus d’une fois j’ai voulu baisser
les bras. A maintes reprises, les souvenirs m’ont mise à genoux.
Les souvenirs… Que fallait-il en faire ? Derrière la candeur
et la douceur de chacun d’entre eux, on pouvait lire en filigrane
l’amère et triste réalité : « jamais tu ne
reviendras ». Très égoïstement, il m’est parfois arrivé
de me demander s’il ne valait pas mieux tout oublier pour rendre la
vie plus tolérable –capituler face à cette peine qui était sur
le point de me submerger.
Ton deuil aura été la chose plus dure
qu’il m’aura été donnée de faire. Plutôt 1000 thèses à
écrire que de faire ce douloureux exercice. Les blessures ne se
refermeront pas et chaque jour, chaque heure et chaque minute
resteront des grains de sel venant entraver le processus de
cicatrisation.
Un jour, mon neveu de quatre ans m’a
dit qu’il fallait que je sèche mes larmes car tu étais sur un
nuage. « Il te voit sur son nuage et un jour tu prendras
l’avion et tu le reverras ». A partir de cet instant, je
me suis dit qu’il était temps de prendre le dessus sur cette peine
dévorante, car après tout, tout va bien sur les nuages, alors que
sur cette terre, plus d’un malheureux mesure chaque jour les effets
dévastateurs de toutes ces idéologies qui s’entrechoquent dans un
monde polycentrique où l’équilibre des forces semble introuvable.
J’ai donc fait des souvenirs ma
force. De tous ces moments passés avec toi, PF, Théo, Mehdi, etc.,
j’en ai tiré des valeurs simples : l’amitié, l’entraide,
la compréhension, la tolérance et l’amour. Aujourd’hui chaque
souvenir me renvoie ces valeurs où l’humain prime sur le dollar.
Ils m’aident à avancer calmement et humblement –meilleurs alliés
contre la grandiloquence et la suffisance, brin d’humanité lors
des traversées des terres arides où les sentiments sont aussi
précieux qu’une goutte d’eau dans le Sahara.
Tous ces souvenirs renforcent mes
valeurs et progressivement, la peine se mue en volonté. Je ne
pourrais jamais vivre pour deux, mais sache que où que tu sois, sur
un nuage où non, tu es toujours bien là sur terre et dans mon cœur.
Quand je milite, quand je m’engage, quand je défends ces valeurs
qu’on a partagées, tu es là indirectement. Tu es un des éléments
du moteur qui m’aide à continuer quand je déplore
l’incommensurabilité de la connerie humaine. Alors dans la
monarchie du pognon, je continue à planter ces pensées. A l’instar
d’un besogneux petit jardinier, je protège chacune d’entre elles
afin de leur laisser une chance d’éclore. Je reste convaincue que
dans chaque bouton, chaque bourgeon, il y a un peu de toi. Que ces
pensées me mènent aux Champs Elysées, lieu de repos des vertueux,
ou aux portes d’Evin, peu importe, je sais au plus profond de moi
que tu seras toujours là.
Aurée